Un tour des crèches
Par Ann Marie Staples
Écoutez, mes choux, que vous puissiez
découvrir les bonheurs les plus petits et plus profonds des fêtes.
Cíest líÉpiphanie, aujourdíhui, et depuis trois semaines je vous
regarde passer devant la crèche en entrant líéglise avant
la messe. Je vous vois examiner la scène avec vos parents pendant
quelques secondes avant díaller vous asseoir. Après la messe, je
vous vois jeter un coup díúil sur le Petit-Jésus en défilant
vite vers la porte. Je vous vois faire ce qui passerait pour un sourire,
síil avait le temps de mûrir. Tout le monde se presse, aujourdíhui.
Moi, jíai pu grandir dans un temps féerique.
Le Petit-Jésus nous était bien plus disponible dans ce temps-là.
Dans ce temps magique, personne ne barrait la porte de sa maison. Je parle
des années 1950 quand toutes les églises restaient ouvertes
tous les jours. Oui, à commencer avec líAngélus matinal jusquíà
celui de 18 heures, níimporte qui pouvait entrer dans níimporte quelle
église. Nous avions plein díopportunités díapprécier
le Mystère de líIncarnation dans ce temps-là.
Naturellement, le bon Dieu ouvrait ses
portes les jours de grande fête. En revanche, le cinéma et
les magasins devaient fermer les leurs. Mes parents on su exploiter la
situation avec un divertissement super amusant et de très bon marché
qui est devenu pour nous une cérémonie plus solennelle que
la messe de minuit. Cíest tout simplement que líaprès-midi de Noël,
les cadeaux étant tous ouverts et le dindon dévoré,
nous montions en voiture pour commencer notre tour des crèches.
Quíil neige, que le verglas tapisse les
chemins, que la température tombe à zéro, Papa nous
menait. Premièrement, nous retournions à notre église
paroissiale. Ensuite, nous procédions à la paroisse irlandaise,
puis aux trois paroisses de Dover síil y restait assez de temps. Sinon,
nous reprenions la route le prochain dimanche après-midi. Nous continuions
ainsi jusquíà líÉpiphanie.
Pour bien faire le tour, il fallait saucer
un miton dans le bénitier en entrant chaque église. Il fallait
fléchir le genoux et síapprocher en silence pour examiner la crèche
soigneusement. Il fallait prier pour tout le monde devant le Petit-Jésus.
Il fallait respirer la poussière des crèches du dernier siècle
pour bien imaginer les innombrables enfants qui ont senti le même
magique que nous.
Dans chaque église nous rencontrions
toujours une dizaine de touristes comme nous, soient-ils vieillards seuls
ou familles entières. Nous chuchotions nos salutations les uns aux
autres et échangions nos bons souhaits.
Quelques années nous rendions deux
visites à une crèche super fée. Quelques années
nous ajoutions une paroisse ou en échappions une autre. Líordre
de visitation pouvait changer, avec une exception. Pour notre dernière
visite, Maman gardait toujours la petite église de St-Léo.
Elle avait été baptisée là, ainsi que ses súurs
et son frère. Ils étaient tous allés à líécole
là dans le sous-sol.
Maman, comment ça se fait que le
Petit-Jésus est plus gros que la Ste-Vierge? La conversation
annuelle commençait. Tu comprends que la crèche ce
níest rien quíune représentation de líIncarnation? Bien oui,
Maman, mais comment ça se fait quíon ne peut pas trouver une meilleure
statue de Jésus. Je te líai déjà dit. Cíest une statue
antiquaire faite de cire à la main. Regarde les cheveux blonds tous
frisés. Chaque fil est collé à la tête de cire.
Mais, Maman, comment ça se fait que le Petit-Jésus est blond
avec les yeux bleus síil est juif.. Nous savions les réponses, ma
súur et moi, mais les questions traditionnelles devaient être posées.
La conversation annuelle nous permettaient díimaginer et de toucher tout
légèrement les vieux personnages de tailles irrégulières.
Si, un Noël, on avait trouvé un tout petit Petit-Jésus
aux cheveux noirs, ou si on avait vu des brebis avec quatre pattes entières,
les fêtes auraient été ratées.
À genoux à la balustrade
devant la crèche de St-Léo, il fallait raconter líhistoire
de la naissance de Jésus. Enfin, il fallait laisser une pièce
de monnaie. Là nous étions au meilleur moment du tour des
crèches, car líheure était arrivée de mettre un sous
dans le chapeau du petit monsieur africain. Premièrement, maman
devait nous raconter que ce petit monsieur díà peut près
dix pouces avait déjà été là depuis
longtemps quand elle était écolière. Ensuite, il fallait
faire les maths pour deviner líâge du drôle de petit valet
pieux. Ma foi! Depuis trois générations la machine en dedans
du petit monsieur noir lui avait fait saluer ceux qui mettaient un sous
dans son chapeau.
Maintenant, nous lui offrions le nôtre
en silence total. Nous entendions la machine faire bouger le chapeau. Nous
regardions le sous disparaître dans le fond. Nous tenions le soupire
un moment, un autre et, oui!, le petit monsieur síinclinait la tête
vers Maman et Papa dans un signe díapprobation. Un instant calme suivait.
Les fêtes finissaient bien.
Pendant plusieurs années, nous avons
reçu le signe du petit monsieur africain avant quíil soit enlevé
vers la fin des années 1960 quand les portes díéglise commençaient
à se barrer. Le gigantesque Petit-Jésus de cire, lui, il
a été perdu pour un temps, retrouvé et renouvelé
en 1987, líannée de son centième anniversaire. Il reprend
sa place chaque Noël dans son énorme tas de foin entre un joli
petit St-Joseph et une belle petite Ste-Vierge. Il est encore là.
En fait, toutes les crèches sont encore
là. Mais vous, mes pauvres choux, vous avez beau de vous imaginer
des histoires et demander des drôles de questions si vos familles
níont que trois secondes à passer.
Voilà pourquoi je prie aujourdíhui.
Je prie au Petit-Jésus que mes mémoires innocents et magiques
vous inspirent à créer les vôtres. Alors, ce dernier
jour du temps de Noël, faites ceci : étudiez bien la crèche
après la messe. Imaginez-vous parmi les petits personnages et regardez
les détails. Ensuite, respirez et demandez vos questions tout haut.
Maman, si les rois mages sont riches, comment
ça se fait quíils níont quíun chameau?
Published in: L'Association Canado-Américaine,
Mes mémoires en héritage, édition 2005, "la
section Québec No. 82" of the ACA. |