LE MILIEU, L'APPARTENANCE ET L'INTÉGRATION
À LA SOCIÉTÉ AMÉRICAINE:
La littérature comme outil de connaissance des Franco-Américains par Éric Joly, Ottawa,
ON, Canada
Travail présenté
Département de géographie
Because I cannot write my native language and have no
Jack Kérouac, Lettre à Yvonne Le Maître,
1950.
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION 1. Humanisme et littérature
A) LE MILIEU 1. Le logement
B) L'INTÉGRATION À LA SOCIÉTÉ AMÉRICAINE 1. Le rêve américain
C) LIEUX ET APPARTENANCE
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
INTRODUCTION 1. Humanisme et littérature
Vers le début des années 1970, la géographie humaniste émerge afin de réagir à l'élan quantitatif qui tente de s'emparer de la géographie. Cette géographie va recentrer l'attention vers le subjectif et les perceptions des milieux. Ce faisant, "la géographie humaniste anglo-saxonne a constitué son credo autour de la notion de sense of place". Anne Buttimer, qui fut longtemps professeure associée à l'Université de Worcester au Massachusetts, élabore au sujet du concept du "sens des lieux" (sense of place) en mentionnant que "There are many dimensions to meaning ascribed to place: symbolic, emotional, cultural, political, and biological...As with other members of the biosphere, too, humans display marked patterns of territoriality". Le "sens des lieux" est essentiel à l'identité humaine. "Les craintes de l'exil, des termes comme 'mal du pays', 'dépaysement', ainsi que les liens étymologiques évidents entre être et habiter, illustrent bien l'importance de ces relations homme et terre". La géographie anglo-saxonne va être la première à développer l'idée de l'importance de la littérature comme une source précieuse à la géographie humaniste. Les oeuvres fictives permettent au chercheur un point de vue privilégié, soit la possibilité d'occuper le rôle de l'"insider" et de s'infiltrer dans les milieux et les paysages décrits dans le roman. La possibilité d'adopter la perspective de l'"insider" est une des raisons qui justifie l'utilisation de la littérature comme terrain de recherche. "...le roman, en ce qu'il évoque de façon éloquente le retentissement intérieur d'une expérience des lieux, peut servir à étoffer des thèses sur l'identité spatiale, l'enracinement de l'homme, le sens des lieux pour lui". Bref, l'approche humaniste a souvent défendu le fait que la littérature offre des témoignages révélateurs sur les lieux et les relations que les individus entretiennent avec eux. La littérature, représente une façon artistique de communiquer de l'information géographique et elle présente de façon subjective l'expérience des lieux (place) ce qui se prête bien par exemple à l'étude des minorités. 2. La littérature minoritaire La littérature minoritaire est définie par François
Paré, professeur de l'Université de Guelph, comme étant
"...les oeuvres littéraires produites au
Guattari clarifient cette définition en écrivant qu'une
littérature mineure
Une communauté qui est consciente de son état minoritaire ne va pas toujours prendre pour acquis sa langue et sa culture comme pourrait le faire la majorité. Cependant, il y a un élément négatif qui se rattache au fait minoritaire: la peur de l'assimilation. Le fait de faire partie d'une minorité va souvent être fortement ressenti dans les écrits des romanciers et des poètes de ces espaces minoritaires. Pour plusieurs, ça deviendra même le thème principal de leur oeuvre. Dans cette littérature minoritaire, il sera donc "difficile d'exclure la question identitaire de l'oeuvre d'un auteur qui a fait le pari de la marginalité au détriment de toute forme littéraire institutionnelle". Un aspect qui menace cette littérature minoritaire est
qu'en étant trop dominée par la problématique identitaire,
elle risque de s'exclure d'un intérêt universel. Elle risque
de ne générer qu'un intérêt local et de se refermer
sur elle-même. Par exemple, Gérard Robichaud, auteur franco-américain,
dit ceci au sujet de la littérature franco-américaine;
Well,
if you write only as a Franco-American about
Alors, si l'auteur est habile, il peut dévoiler au monde entier une histoire riche et unique. Voilà la beauté et le charme de la littérature minoritaire. Mais avant de rayonner, cette littérature rencontre plusieurs obstacles. Contrairement à la plupart des autres écrivains, l'auteur de l'espace minoritaire doit résoudre une panoplie de questions épineuses au sujet de sa langue et de sa culture avant de se mettre à écrire. Il doit accepter qu'il fait partie d'un espace minoritaire. Une fois que cette étape est franchie, l'auteur de l'espace minoritaire doit maintenant attaquer le problème du public. Qui va lire son livre? Est-ce que ces lecteurs vont se restreindre au milieu minoritaire? Ce n'est que quelques-unes des questions qui caractérisent cette littérature. Du point de vue de la géographie culturelle, la littérature
minoritaire offre, à mon avis, un point de vue enrichi et unique
sur les lieux et les espaces. Elle est souvent associée à
des personnes qui sont très fières de leurs racines. À
travers les autres qui éprouvent au contraire des sentiments ambigus
envers leur héritage, elle permet de mieux comprendre les ambivalences
du sens des lieux et de l'appartenance. Dans tous les cas, aussi pénible que cela semble être, le fait d'être minoritaire inspire les écrits de ces auteurs qui nous livrent, à travers leur oeuvre, des informations de choix sur le rapport des individus et des groupes aux lieux. Le cas des Franco-Américains illustre bien ceci. 3. Les Franco-Américains Durant les années 1840 à 1930, il y a environ 900
000 Canadiens
En 1900, on retrouve 33 000 Canadiens français dans la
ville de Fall River (Massachusetts), 24 800 à Lowell (Massachusetts),
23 000 dans la ville de Manchester (New Hampshire) et 13 300 dans la ville
de Lewiston-Auburn (Maine).
Cependant, lorsque l'émigration vers les États-Unis
diminuera aux environs des années 1930, cela causera l'affaiblissement
de plusieurs communautés franco-américaines au plan socio-culturel.
À ceci s'ajoute l'assimilation qui a fait ses ravages dans ces communautés
noyées dans un environnement anglophone. Néanmoins, on retrouve
aujourd'hui certaines communautés franco-américaines qui
persistent toujours. Le recensement des États-Unis de 1990 révèle
qu'il y a 18 796 Franco-Américains (qui parlent le français
à la maison) sur les 81 643 habitants de la ville de Lewiston-Auburn
(Maine), soit un pourcentage de 23,02. Plus généralement,
ce même recensement démontre la présence de 339 800
Franco-Américains qui parlent la langue française à
la maison en Nouvelle-Angleterre.
4. Le choix d'auteurs Mon choix d'auteurs s'est appuyé sur diverses anthologies de la littérature franco-américaine. Je voulais étudier des romanciers/romancières qui avaient publié dans la deuxième moitié du vingtième siècle. Aussi, je voulais analyser des oeuvres écrites en français et en anglais afin d'étoffer ma comparaison pour bien refléter la diversité des cheminements culturels des auteurs. Un autre de mes critères a été de choisir des auteurs provenant de différents milieux en Nouvelle-Angleterre afin d'avoir accès à un éventail d'expériences du milieu. Bref, les dates de parution des quatre oeuvres choisies s'étalent des années 1950 jusqu'à l'aube du nouveau millénaire, ce qui m'a permis de voir la Franco-Américanie du passé et la forme qu'elle semble épouser pour le futur. Dès le début, j'ai voulu inclure Jack Kérouac
dans ma recherche, soit le célèbre auteur associé
à la "beat generation", qui naît en 1922 à Lowell,
un "Petit Canada" de l'État du Massachusetts. Le choix a été
difficile car plusieurs de ses livres se prêtaient bien à
mon étude. J'ai opté pour Dr. Sax (1959) puisque contrairement
à plusieurs de ses livres qui sont plutôt des
"romans de la route", celui-ci est un roman qui contient plusieurs descriptions
riches et élaborées du milieu franco-américain. Bref,
dans Dr. Sax, Kérouac se remémore son enfance dans le "Petit
Canada" de Lowell. Mais ses souvenirs ne sont pas toujours joyeux, puisque
"Docteur Sax est du brun de Lowell, poreux, sombre excrémentiel,
terne comme la vie des manufactures et les poussières crachées
dans les énormes tuyaux d'usine". D'après Victor-Lévy
Beaulieu, Dr. Sax est le "meilleur document que l'on possède sur
la vie franco-américaine des années 1920-1930". J'aurais
pu choisir le premier roman de Kérouac intitulé The Town
and the City (1950) à cause des nombreuses descriptions qu'il y
fait des lieux dans lesquels il a grandi. Malgré le fait que ce
roman décrit son milieu franco-américain, je ne voulais pas
le choisir car Kérouac a écrit ce roman avant de trouver
le style d'écriture qui lui est propre. Je crois que le style spontané
d'écriture qu'il a développé au cours de sa carrière
lui a permis d'écrire des textes plus honnêtes et purs. Cependant,
son premier roman contient un passage incontournable que je vais décrire
plus tard dans cette étude. Bref, dans Dr. Sax comme dans la grande
majorité de ses écrits, Kérouac met de côté
les règles de la syntaxe anglaise et il écrit comme il le
sent. Cela a fait l'objet de critiques mais pour nous, il s'agit au contraire
d'un atout puisque l'auteur est capable ainsi de communiquer librement
ses expériences d'enfance dans un milieu franco-américain.
Le deuxième auteur que j'ai choisi pour mon étude
est Gérard Robichaud, né en 1908 à Saint-Évariste,
Québec. Il a vécu dans la ville de New York (village Greenwich)
et à Lewiston, Maine qui est aujourd'hui une des villes possédant
le plus gros pourcentage de Franco-Américains (langue parlée
à la maison). Depuis 1991, il habite à Manchester dans l'État
du New Hampshire, autre foyer francophone de la Nouvelle-Angleterre. Son
roman intitulé Papa Martel (1961) qui sera à l'étude,
a été rédigé en anglais. En 1965, il publia
The Apple of His Eye, un autre roman inspiré par les Franco-Américains.
Dans Papa Martel, on retrouve une famille franco-américaine qui
réside dans un village fictif au Maine (Groverton). Robichaud démontre,
avant tout, comment les Franco-Américains continuent à célébrer,
malgré certaines difficultés, les traditions et les coutumes
de leurs ancêtres. Cet auteur qui a été éduqué
à la fois au Québec et aux États-Unis écrivait
en français au début de sa carrière mais comme il
l'explique en entrevue, il a décidé d'écrire dans
la langue de Shakespeare afin de se faire publier aux États-Unis.
Kérouac et Robichaud utilisent la langue
Un autre auteur dont on parle souvent dans les recueils récents
de la littérature franco-américaine est Robert B. Perreault.
Sa ville natale de Manchester est située dans l'État du New
Hamsphire. Au tournant du siècle, cette
ville, comme Lowell, possédait une population importante de Canadiens français. Parmi les quatre auteurs retenus, il est le seul qui a choisi d'écrire dans la langue de Molière. Parmi plusieurs oeuvres rédigées par cet auteur polyglotte, on retrouve notamment One Piece in the Great American Mosaic: The Franco-Americans of New England (1976) et Du Québec à la Nouvelle-Angleterre/Emigration: A Franco-American Experience (1982). Son roman intitulé L'Héritage (1983) que je vais utiliser pour cette étude, raconte l'histoire d'une jeune fille qui, vers le début des années 1970, tente de redécouvrir son passé franco-américain. Les racines franco-américaines que son père désire enterrer, elle cherche pour sa part à les déterrer. Cette histoire émouvante se déroule à Manchester, soit un ancien "Petit Canada". Cela va sans doute offrir un riche terrain pour ma recherche. La dernière personne que j'ai choisie pour mon étude
est Rhea Côté-Robbins qui en plus d'être écrivaine,
mène le groupe des femmes franco-américaines (FAWI). Elle
travaille présentement à la rédaction d'un livre portant
sur Grace de Repentigny Metalious, Franco-Américaine et romancière
célèbre du roman Peyton Place (1956). Pour cette étude,
je vais utiliser son livre Wednesday's Child publié en 1997. Ce
bouquin épouse plutôt la forme d'un "recueil" de ses souvenirs
dont la majorité se rapporte à ses racines franco-américaines.
Elle relate plusieurs moments intenses qu'elle a vécus durant son
enfance dans le "Petit Canada" de Waterville. Le choix de ce livre me paraît
évident pour trois raisons. Premièrement, je crois qu'il
sera intéressant de
comparer la perspective de cette femme à celles des trois hommes. Également, ce sera intéressant de voir comment la Franco-Américanie est traitée dans un livre des années 1990. Il sera important de voir comment ce livre se rapproche des romans de Kérouac et Robichaud, tous les deux publiés au tournant des années 1960. Et troisièmement, ce bouquin a remporté le prix du meilleur livre de l'année 1997 (Chapbook Award), tel que voté par le l'Association des écrivains et des éditeurs de l'État du Maine. 5. La langue choisie... En ce qui concerne la langue choisie par les romanciers/romancières
franco-américain(e)s, on aura noté que trois des quatre romans
que j'ai choisis sont écrits en anglais. D'un côté,
on doit s'attendre à ceci car il est nécessaire pour un écrivain
d'écrire dans cette langue afin d'améliorer ses chances de
publication aux États-Unis. Cependant, ce phénomène
semble curieux car la langue française (ou parfois le joual) occupe
sans doute un rôle primordial dans l'enfance de ces auteurs franco-américains.
Hormis le livre de Perreault, les trois autres romans sont parsemés
de mots français malgré le fait qu'ils sont écrits
dans la langue de Shakespeare. Cela introduit un débat parfois épineux,
soit celui de la langue choisie par les auteurs franco-américains.
Vers les années 1930, l'idéologie de la "Survivance" qui
vise à protéger et à sauvegarder la langue française
prend de l'ampleur. À ce moment, c'était perçu
comme
sacrilège d'écrire dans la langue anglaise. Cependant, aujourd'hui, les anthologies de la littérature franco-américaine comportent des textes dans les deux langues. Claire Quintal, une des meneuses de file du fait francophone en Nouvelle-Angleterre, mentionne dans la préface d'une anthologie datant de 1992: La
langue française a continué d'être parlée, écrite
Pour certains, un Franco-Américain doit être en mesure d'écrire et de parler en français. Pour d'autres cependant, le recours au français n'est pas si nécessaire. L'appartenance est une quête personnelle à chacun. Plusieurs vont ressentir une certaine appartenance à la culture sans parler la langue. Pour eux, la francité réside dans le sang et plus précisément, dans le coeur. 6. La méthodologie Par le biais de ma lecture, je vais porter une grande attention
aux passages offrant des descriptions des lieux, soit les "Petits Canadas"
et les filatures. Je vais regarder à la fois l'aspect physique de
ces immenses manufactures et des "Petits Canadas" (les logis d'ouvriers,
les commerces, les écoles, les églises, etc.) et le côté
social, soit les relations qu'entretiennent
les personnages avec ces milieux évoqués dans les romans. Ceci va m'aider à mieux comprendre le sens des lieux (sense of place) des personnages et va faire l'objet de la majeure partie de l'analyse qui suit. En lisant ces romans sous une optique géographique, il est aussi important de ne pas simplement rechercher le contenu qui s'applique strictement à la géographie. Il est plutôt crucial d'engager un dialogue avec le roman et de le laisser parler afin "d'examiner sa propre façon de 'faire' de la géographie, ou du moins, d'écrire l'espace et les lieux des hommes". Il est important, dans la mesure du possible, de laisser le roman nous raconter l'histoire au lieu de le lire avec l'intention d'observer seulement ce que l'on désire voir. Ceci est l'approche que j'ai moi même privilégiée. A) LE MILIEU Un élément très représentatif de l'histoire
des Franco-Américains est, sans doute, le "Petit Canada", soit ce
lieu que l'on retrouve dans les villes industrielles de la Nouvelle-Angleterre
où se concentraient les Canadiens français nouvellement arrivés
aux États-Unis. Parmi les plus grands "Petits Canadas", on retrouve
celui de la ville de Lowell, dans l'État du Massachusetts
Maine. Il y a plusieurs autres "Petits Canadas" dans la Nouvelle-Angleterre mais cette recherche va, par le biais des romans dont ils sont les cadres, se concentrer plutôt sur ces trois communautés. 1. Le logement Un élément central de la description des milieux est sans doute la maison qui représente pour plusieurs le coeur de la communauté. Une maison typique que l'on pouvait retrouver dans les quartiers ouvriers et ethniques de la Nouvelle-Angleterre après la première guerre mondiale est décrite par Perreault comme étant: ...construite en bois, à trois ou quatre étages,
et
On retrouve également un passage dans l'oeuvre de Kérouac
qui dépeint le genre de logement qui caractérise les "Petits
Canadas" de la Nouvelle-Angleterre,
It
was a flat, on the fourth floor of a wooden tene-
Ce passage en dit beaucoup sur l'organisation des lieux et sur l'atmosphère qui s'en dégage. Premièrement, Kérouac mentionne la densité du quartier, qui est une caractéristique importante pour plusieurs "Petits Canadas". Ensuite, il fait mention de les "wooden tenements", soit les logis d'ouvriers entassés qui caractérisent l'apparence physique des "Petits Canadas". Les câbles d'électricité et les balcons au-dessus d'une rue avec des commerces achalandés viennent compléter cette image du "Petit Canada". Vers la fin du passage, Kérouac mentionne qu'il est surpris de se sentir confortable dans ce logis. Un des facteurs contribuant à ce sentiment sécurisant qu'il éprouve est sans doute, le milieu qui l'entoure, soit la présence des Canadiens français qui partagent la même langue. 2. La vie française Comme on l'observe souvent dans des quartiers ethniques, la langue
de la minorité prévaut dans les "Petits Canadas". Il y avait
au tournant du siècle, dans les communautés francophones
de la Nouvelle-Angleterre, plusieurs
services offerts en français. Notamment, on retrouvait des commerces, des églises, des écoles primaires, des centres de rencontres, des clubs et souvent un journal "dont le tout chantait la gloire de l'ancienne patrie". En se baladant dans les rues de Lowell, Kérouac observe "...this drugstore, Bourgeois'...candy stores like Destouches'." Aussi, "...a French Canadian nightclub..." et "...a cluttered dark French-Canadian shoe repair shop..." Avant de traverser le pont Notre-Dame qui les amène au "Petit Canada", Charles Ladouceur et sa fille Caroline, soit les personnages principaux du roman L'Héritage, "...passent près de la Caisse Populaire Sainte-Marie, le parc Lafayette, la paroisse Sainte-Marie et l'hôpital Notre-Dame-de-Lourdes, avant d'arriver à l'épicerie Ladouceur". Ce passage est un bon exemple de la prédominance des commerces et des institutions francophones que l'on retrouvait dans un "Petit Canada". Pour
un émigré du Québec, vivre dans le Petit Canada
Une étude toponymique du "Petit Canada" de Manchester menée par Perreault dans son roman, révèle qu'il y avait plusieurs rues qui "reçurent des noms évoquant le souvenir des pionniers français et québécois en Amérique, soit Cartier, Dubuque, Laval et Youville". À Lowell, on retrouve aussi des noms de rues tels: Lupine, Beaulieu, Boisvert, Beaudry, etc. Cela contribuait sans doute à l'esprit francophone qui régnait à une époque dans ces quartiers. Kérouac décrit un club de rencontre situé dans le "Petit Canada", soit le "Pawtucketville Social Club", comme étant une organisation "...intended to be some kind of meeting place for speeches about Franco-American matters but was just a huge roaring saloon and bowling alley and pool table with a meetingroom always locked." Ce passage démontre à la fois le caractère français du "Petit Canada" et l'esprit de convivialité qui régnait au sein de cette communauté. 3. La sociabilité Une deuxième caractéristique importante du "Petit
Canada" est la sociabilité que l'on retrouve en ces lieux.
Vivre dans le "Petit Canada", c'était souvent vivre parmi de la
famille et des amis provenant du même village québécois.
Souvent, plusieurs membres d'une famille habitaient dans le même
logis ouvrier ou à proximité. On se rencontrait pour jouer
aux cartes et pour chanter
des chansons du terroir. Kérouac se rappelle des sons majestueux de son enfance vécue dans le "Petit Canada". "The kids yelling in the tenement yards at night -I remember now and realize the special sound of it - mothers and families hear it in aftersupper windows." Kérouac poursuit en se rappelant que sa mère, Gabrielle, s'assoyait souvent sur le balcon afin de causer avec les gens du quartier. 4. L'abattement Cependant, l'atmosphère du "Petit Canada" n'était
pas toujours aussi joviale. Kérouac nous fait également part
du sentiment abattu et affligé qu'il éprouvait à Lowell.
"In a few years we moved over the Textile Lunch scene of greasy midnight
hamburgs & katchup; the one horrible tenement of collapsing porches..."
Kérouac parle aussi d'un air découragé qui semble
résider dans les résidences canadienne-françaises.
Au sujet d'une maison il mentionne qu'elle lui semblait être "...haunted
by sad flowerpots of linoleum eternity in a sunny void also darkened by
an inner almost idiot gloom French Canadian homes seem to have..."
Il nous offre également une autre scène perspicace du "Petit
Canada" à l'hiver: "...in the coldmoon January wind of the French
Canuck ruts in frozen mud so like Russia, by creaking saloon signs, grit
winds, canal frozen
solid..." Le roman de Kérouac contient plusieurs descriptions mélancoliques du "Petit Canada". Il décrit avec précision les moments joyeux qu'il partagea avec ses camarades mais cependant, il n'ignore jamais l'atmosphère déprimant qui se dégage de ce milieu. 5. Un espace de transition Souvent, l'objectif pour plusieurs Canadiens français était de demeurer dans le "Petit Canada" assez longtemps afin d'amasser des fonds pour ensuite déménager à l'extérieur et s'assurer d'une meilleure intégration dans la société américaine. Bref, le "Petit Canada" pour plusieurs n'était qu'une étape transitoire dans l'ascension de l'échelle socio-économique américaine. Ce sentiment sera amplifié de plus en plus chez les "Franco-Américains" de deuxième et de troisième générations qui tenteront de s'écarter du "Petit Canada" et de ses usines, symboles de leur marginalisation. Perreault résume l'ascension socio-économique souhaitée par la majorité des Canadiens français dans un passage révélateur. ...
ces gens habitaient plus près du centre-ville,
Ceci
les oblige tout de même à faire un trajet
6. Le milieu de travail L'industrie textile est la raison primordiale qui explique l'émigration des Canadiens français vers la Nouvelle-Angleterre. Ces immenses bâtiments linéaires, souvent fabriqués de briques rouges, dominaient la vie de plusieurs Canadiens français à la fois à cause de l'architecture gigantesque qui caractérisait ces manufactures et aussi parce que la grande majorité des immigrés Canadiens français travaillaient à l'intérieur de leurs murs. Bref, les romans contiennent plusieurs évocations du milieu de travail des Canadiens français aux États-Unis. Premièrement, il est important de se remémorer le
fait que les conditions de travail à cette époque n'étaient
pas toujours aussi favorables que celles que l'on connaît aujourd'hui.
Souvent, on retrouvait des jeunes enfants et des mères de familles
qui, renfermés dans ces manufactures, travaillaient un nombre d'heures
excessif.
I
am horrified by the cotton dresses of the women
À ce sujet, un des personnages dans le roman de Robichaud mentionne que "Most French-Canadian boys I know work in factories that open and close and throw their people out of work regularly like the tide at Old Orchard Beach." Ce passage témoigne de la vie laborieuse qu'auront plusieurs travailleurs Canadiens français sur le sol de l'Oncle Sam. La simple présence des manufactures dans le quartier de
Kérouac aura un effet important sur ses écrits et occupera
un rôle crucial dans ses souvenirs d'enfance.
Ainsi la couleur de l'usine alimente les nombreuses descriptions
que Kérouac fait de son milieu. L'omniprésence des manufactures
dans le quartier de Kérouac fera du rouge une couleur prédominante
dans son roman. Kérouac, comme un
peintre, utilise cette couleur lors de ses nombreuses descriptions des
manufactures et du désespoir qui s'y rattache. Il imagine le jour
de sa naissance qui prend place "...at five o'clock in the afternoon of
a red-all-over suppertime..." Vers le début du roman, il décrit
le salon hanté de sa maison en mentionnant à maintes reprises
la couleur rouge. Lorsqu'il marche dans les rues de Lowell, il décrit
les cheminées des usines comme étant des antennes rouges.
Il mentionne que "The mystery of the Lowell night extends to the heart
of downtown, it lurks in the shadows of the redbrick walls..." Donc
pour Kérouac, la couleur rouge de la brique des usines se chevauche
souvent avec l'état des travailleurs affligés par la détresse.
Bon nombre de descriptions des manufactures dans l'oeuvre de Kérouac
dégagent un air de tristesse et de mystère.
...l'Amoskeag Millyard, un vaste paysage industriel-
B) L'INTÉGRATION À LA SOCIÉTÉ AMÉRICAINE
Le processus qui fait en sorte que les immigrés canadiens-français arrivent à s'intégrer dans la société américaine est au centre des romans étudiés. On s'attache aux difficultés qu'il suscite. Pour plusieurs, le problème majeur est sans doute celui de la langue. C'est bien sûr souhaitable que de vouloir s'assurer un meilleur statut social mais cependant cela rend le sujet canadien-français plus susceptible à l'assimilation. En effet, chaque nouveau départ des "Petits Canadas" effritait le pouvoir de ces concentrations francophones. Perreault, par le biais de ses personnages, résume effectivement
cette problématique. Ses propos sur Charles Ladouceur qui décida
un jour de suivre "les règles de la petite bourgeoisie" , traduisent
le fait qu'il
s'identifie au rêve américain: il aspire demeurer dans une maison spacieuse située dans un quartier huppé; il désire également conduire une automobile de marque distinguée afin de concurrencer avec ses voisins. Il fait ceci afin de s'écarter à tout prix de son vieux quartier ethnique et des manufactures qui sont, à ses yeux, synonymes de la marginalisation et de la pauvreté. Charles Ladouceur se demande pourquoi que les Canadiens français ne sont pas plus avantagés économiquement que les autres groupes ethniques habitant la même région. Il observe que des Juifs, qui sont arrivés au moment où il était finalement lui-même sorti du "Petit Canada" et avait acheté son commerce, sont présentement plus avantagés que lui car certains possèdent des commerces plus gros que le sien. Également, il y a les Irlandais qui ont connu une plus grande ascension dans le monde de la politique. D'après lui, la raison qui explique cela est le fait que ces derniers se tiennent ensemble et qu'ils s'entraident, contrairement aux "Canayens" qui sont jaloux l'un de l'autre lorsqu'il y en a un qui accomplit quelque chose. 2. L'Autre Il est important de signaler, à mon avis, l'absence d'un
élément crucial qui ne figure pas dans cette tirade, soit
la mention du rôle de la langue. Puisque les habitants du "Petit
Canada" possèdent le français comme
langue maternelle, cela les désavantage grandement comparativement aux Irlandais, par exemple, qui parlent déjà la langue du pays adoptif. Les Irlandais peuvent s'intégrer dans la société américaine sans perdre leur langue tandis que les Canadiens français doivent apprendre une nouvelle langue, ce qui rend l'intégration plus ardue. Cela contribue également à creuser le fossé entre les Canadiens français et l'Autre ("les Anglais"). Les Irlandais, quant à eux, n'accuseront pas le même retard que les Canadiens français et il s'ensuivra qu'ils vont moins ressentir la différenciation entre eux et la société américaine. Il est important de souligner que dans ces romans franco-américains,
on retrouve souvent des personnages francophones ou de descendance française
qui perçoivent "l'Américain anglophone" comme étant
l'étranger, l'Autre. Les personnages francophones s'identifient
en affirmant leurs différences par rapport à l'Autre anglo-saxon
et protestant. Louis Martel, soit la création de Robichaud,
Néanmoins, il y a un autre passage dans le roman où
Louis dit qu'il se sent bien d'être vivant en cette fête américaine
du 4 juillet. Cette déclaration saute aux yeux car Louis est souvent
le premier à remarquer les
différences entre lui et l'Autre. Cependant, dans ce passage, il est fier de célébrer la fête de ceux qu'il surnomme les "Haristocrats". Il se peut que cette parole de Louis ne fasse qu'exprimer une simple émotion qu'il éprouve à l'égard de son pays adoptif. Cependant, ces mots peuvent également signaler son intégration progressive dans la société américaine. Cécile Bolduc, l'épouse de Louis, insiste plutôt sur le fait que la langue parlée dans la maison sera le français. Les enfants devront aussi prier dans cette même langue. Elle incite cependant ses enfants à également maîtriser l'anglais, car après tout c'est la langue de leur pays adoptif. 3. L'effet du milieu Le roman de Perreault peut se résumer comme celui de l'affrontement
entre le pouvoir de la tradition et les forces de la modernité.
Paradoxalement, c'est Caroline Ladouceur, une adolescente, qui représente
les coutumes du passé tandis que c'est son père, Charles,
qui en regardant vers l'avenir, se presse à oublier le passé.
Caroline est frustrée lorsque son père "...commence avec
ses histoires de vivre comme les riches du North End, pis d'oublier c'que
notre famille avait coutume d'être, quand on restait au-dessus de
chez grand-maman [dans le "Petit Canada"]..."
Il est intéressant de noter qu'une fois que Charles déménage hors du "Petit Canada", il se définit de façon différente. Il se voit comme étant plus américain. Il mentionne que dans le "Petit Canada", ils ne font que parler en français. En ce qui concerne un dénommé Gamache, qui ne parle pas fréquemment l'anglais, Charles déclare que ce dernier "peut rester là [dans le "Petit Canada"] pis pas venir empouésonner notre beau voisinage icitte!" Ce qui traduit les grandes divergences des points de vue quant à l'intégration. Certains accueillent à bras ouverts le rêve américain et désirent s'intégrer dans la société américaine tandis que d'autres ne veulent que faire un peu d'argent afin de retourner au Canada tout en protégeant la langue et la culture. Cependant, le revers du point de vue de Charles provient d'Emelia Marcouillier, soit sa belle-mère, qui ne voulait point quitter le quartier des Canadiens français car elle se sentait perdue hors de son "Petit Canada". Le facteur de la langue entre en jeu car Emelia ne veut pas déménager hors du voisinage puisque "...c'est tous des étrangers, un mélange de monde qu'on connaît pas pis où c'que quasiment personne parle français?" Elle désire plutôt demeurer dans le "Petit Canada" car ça fait déjà une cinquantaine d'années qu'elle habite ce quartier. Elle veut continuer à vivre avec des gens qu'elle connaît et elle se résigne même à mourir dans le "Petit Canada". Donc avec Charles et Emelia, on observe que certains perçoivent le "Petit Canada" comme étant un lieu transitoire que l'on habite pour une période de temps restrictive tandis que pour d'autres, ça devient un lieu relativement idéal pour vivre une vie. 4. Le poids de la différence Rhea Côté-Robbins mentionne maintes fois les douleurs qu'elle a subies lors de sa jeunesse comme jeune fille habitant dans le "Petit Canada" de Waterville dans l'État du Maine. "The wound of being French avec les améritchains all around you". Néanmoins, elle célèbre l'histoire des Canadiens français malgré le fait que plusieurs n'ont pas connu l'ascension souhaitée sur l'échelle socio-économique et sont demeurés au même niveau social pendant plusieurs générations. The
women who work in the mill, and whose aspirations
Dans ce passage sombre, Côté-Robbins mentionne, comme
elle le fait à plusieurs autres endroits dans son livre, que même
si certains Franco-Américains ne parlent pas leur langue maternelle,
il est possible de ressentir leur francité. Elle se dit capable
d'interpréter les gestes du corps. Si ce n'est pas dans la langue
parlée, la francité pour certains réside dans l'esprit,
dans le sang et surtout dans le coeur.
Côté-Robbins offre plusieurs exemples qui démontrent
combien pénible a été la progression socio-économique
ou la tentative de se hisser dans l'échelle sociale pour plusieurs
Franco-Américains. Le changement a été encore plus
difficile pour ceux qui désiraient également maintenir leur
héritage. À nouveau, la langue s'affiche comme étant
un obstacle majeur. Elle discute aussi de la disparité entre la
culture franco-américaine et celle du "mainstream" américain.
...Colby College. The workplace for many Franco-
Dans son texte riche d'émotions, Côté-Robbins
se rappelle comment les filles franco-américaines de son quartier
furent ridiculisées par les garçons qui fréquentaient
le Collège Colby à Waterville, dans l'État du Maine.
"The women of
my neighborhood were the playthings of the Colby men. 'The girls on
Water Street' were the girls the Colby men were told to avoid. They might
get the crabs." L'expérience de Côté-Robbins
aide le lecteur à comprendre que les relations n'étaient
pas toujours harmonieuses entre les Franco-Américains et les Américains
de souche anglaise. Puisque les Franco-Américains représentaient
une minorité qui parlait une autre langue, ils étaient souvent
ridiculisés par l'Autre, comme le démontre ce passage. Ceci
n'est qu'un seul exemple tiré du témoignage d'une personne
ayant déjà habité dans un "Petit Canada". Cependant,
on pourrait sans doute retrouver cette même difficulté d'être
différent dans plusieurs autres
Côté-Robbins s'accointe avec les autres minorités
de la société américaine lorsqu'elle mentionne que
les jeunes filles franco-américaines sont dégradées
dès que l'Autre jette un regard en leur direction. Elle continue
en se
5. L'assimilation Bref, pour plusieurs Franco-Américains, l'intégration
dans la société américaine n'a pas été
chose facile. Encore plus difficile est de grimper dans
À plusieurs reprises dans ces romans, on retrouve des passages sur l'assimilation des Franco-Américains. C'est un dossier épineux qui est quasi-incontournable. Certains sont d'avis que l'on doive l'accepter et qu'il n'y a rien à faire contre l'assimilation pendant que d'autres sont prêts à défendre à tout prix la langue et la culture françaises. Cependant, la majorité des passages dans ces romans exprime des points de vues angoissés au sujet de l'assimilation des Franco-Américains. Louis Martel se rappelle de son père qui lui disait souvent
que la race française était en train de mourir. Perreault
arrive au même message mais
franco-américaine en disant à Caroline que "C'est d'valeur, vous autres, les jeunes, vous perdez tous votre français, un p'tit brin à la fois". Côté-Robbins mentionne qu'il y a eu un moment dans sa vie où elle se disait prête à délaisser sa langue et sa culture derrière elle afin de contrer sa marginalité dans la société américaine. "Me, I was just plain leaving the whole thing behind me and I was going to be an Améritchaine girl. Marry me some améritchain. Live in a big white house. Be perfect." Malgré le fait que Charles Ladouceur quitte le "Petit Canada"
afin d'habiter dans un quartier huppé, il n'abandonne pas la langue
française. Il continue à parler cette langue par force d'habitude.
Il y en a d'autres, comme nous l'indique le narrateur, qui vont abandonner
leur langue et vont même angliciser le nom de famille. Au domicile,
Charles et Marguerite parlent presque uniquement le français mais
leurs enfants parlent les deux langues, souvent en même temps. À
l'extérieur de la maison, c'est logiquement l'anglais qui domine
6. Une insertion difficile Malgré le fait que Louis Martel célèbre la
fête d'indépendance de son pays adoptif, il ne s'est jamais
vraiment senti complètement à l'aise dans son
Côté-Robbins éprouve également le même
sentiment de dépaysement. Elle se décrit comme étant
un cul-de-sac culturel. Elle ressent qu'elle est le dernier arrêt
sur le chemin historique des Franco-Américains, soit la dernière
de la
Un autre passage clé qui démontre le sentiment de
dépaysement chez
C) LIEUX ET APPARTENANCE D'après Anne Buttimer, le "sens des lieux" se résume
comme suit;
...people's sense of both personal and cultural
Toutes les pages qui précèdent cette section sont
parsemées, à mon avis, de passages qui offrent des aperçus
du "sens des lieux" pour les membres de communautés franco-américaines.
Les nombreux passages de Kérouac sur les commerces francophones
à Lowell et les descriptions de l'Amoskeag Millyard qui apparaissent
sous la plume de Perreault informent sur le sens prêté par
les
Franco-Américains aux lieux dans lesquels ils habitent, travaillent, socialisent et conduisent leur vie. On retrouve plusieurs autres passages qui "façonnent" le "sens des lieux". Par exemple, Louis Martel, le protagoniste de l'oeuvre de Robichaud, qui mentionne à maintes reprises qu'il habite sur le sol des "Henglish haristocrats" et Côté-Robbins qui, à cause de son accent, se faisait taquiner lors de son enfance. Tous ces évocations contribuent à approfondir notre connaissance des lieux. Ils nous aident également à comprendre davantage l'atmosphère qui s'en dégage. - yet something in the air outside the windows was
Ce passage de Kérouac alimente tous les sens du lecteur. Premièrement, il active l'imagination du lecteur en offrant des images colorées. Ensuite, cette description permet au lecteur de s'infiltrer à l'intérieur du "Petit Canada" et de sentir la fumée crachée par les cheminées, d'entendre à la fois le bruit calmant des chutes et le bruit indésirable des filatures. Bref, de ressentir le milieu par l'entremise des sens. Les romans étudiés nous permettent non seulement
de découvrir les lieux tels qu'ils sont vécus au quotidien
par les protagonistes, mais aussi toute la gamme des sentiments qui les
relie à ces lieux. Ils nous révèlent leur profond
Le roman nous conduit inévitablement vers toutes ces émotions que véhicule l'idée de sens d'appartenance qui décrit de façon générale, l'attachement d'un individu à une communauté, à un milieu, un espace, un environnement qui lui tiennent à coeur pour de multiples raisons: émotionnelles et/ou pratiques, sociales et/ou économiques. Le lecteur ressent une appartenance du Franco-Américain à son espace de vie en lisant l'oeuvre de Côté-Robbins où elle affirme à la fin de son texte "I will be French in Maine, Franco-American female, and proud of it."! Cela sous-entend qu'elle n'a pas toujours eu cette conviction mais maintenant elle proclame sa fierté d'être Franco-Américaine. Comme plusieurs autres francophones ou personnes de descendance française hors Québec, l'identité n'est pas toujours chose facile à définir. En prenant la plume, les auteurs de ces romans tentent de se réconcilier
avec leur passé. À cet égard, Côté-Robbins
dit "I wish I had a happier story to tell, but I've made my peace with
its ugliness. It is a truthful, unpretty face. I have learned to love the
story I hated." Bref, par l'entremise de ces quatre romans, le lecteur
observe que plusieurs Franco-Américains ont un "sens d'appartenance"
ambigu. Il est parfois très difficile de joindre la vie courante
qui se déroule en anglais avec la langue et la culture
canadienne-française qui est perçu par certains de la majorité comme étant archaïque et même désuète. "...il n'est pas facile d'écrire et de vivre dans l'insularité et l'ambiguïté d'une culture minoritaire et largement infériorisée". Les personnages dans ces romans découvrent inévitablement à un moment dans leur vie qu'ils sont différents de l'Autre. Cela, à mon avis, entame le processus de différenciation qui aboutit tôt ou tard à un "sens d'appartenance" ambigu. Pour des raisons économiques, les Franco-Américains dans ces romans se sentent souvent au bon endroit mais en ce qui concerne la langue et la culture, les Franco-Américains, depuis la deuxième moitié du vingtième siècle, se sentent de plus en plus éloignés. CONCLUSION Dans les oeuvres étudiées, il y a quelques passages
révélateurs qui aident à bien comprendre la problématique
de la culture franco-américaine telle qu'elle s'est construite à
la faveur de la migration et de l'adaptation à un nouvel environnement.
Dans Papa Martel, il y a un épisode émotionnel où
Louis explique à son fils qu'une personne sacrifie une partie de
son âme lorsqu'elle
recovers from it..." Ce passage, à mon avis, résume le sort pénible que connaissent souvent ceux qui doivent quitter leurs pays, comme ce fut le cas des Franco-Américains. Côté-Robbins parle aussi des séquelles que laisse l'assimilation. Le sacrifice que doivent faire plusieurs Franco-Américains est de perdre une partie de leur âme dans la culture américaine. "I talk about losing a piece of one's body and it is like losing a piece of one's self in their culture. Changed forever, but you continue to live just the same. You take it all in stride". Côté-Robbins affirme qu'il y a toujours une francité
qui réside dans la vie des Franco-Américains. "In French.
Everything in French. Even if it is in English, it is still in French.
A layer of French living laid over by layers of popular culture or popular
culture covered by living done in French.
Reclaiming
one's right to one's culture and singing
you
shop the aisles in the grocery store. The women
Ce passage peut s'appliquer à plusieurs Franco-Américains
qui tentent
Pour l'avenir, Côté-Robbins se dote de la mission de redécouvrir ses racines francophones. Cependant, elle hésite à apprendre à fond la langue française puisqu'elle a peur de s'aliéner ainsi les autres et même de ne plus se comprendre elle-même. Bref, les quatre romans à l'étude livrent une information
précieuse sur les sentiments et les appartenances au sujet de cette
communauté marginalisée. Ils informent à la fois sur
le milieu Franco-Américain, soit les "Petits Canadas" et les filatures,
et sur l'intégration des Franco-Américains à
Cependant, une étude complémentaire serait d'élargir le terrain de recherche et de faire une "lecture géographique" de d'autres romans et de la poésie franco-américaine puisque la poésie "...est aussi le langage même des marginalités". Somme toute, la littérature s'avère un outil indispensable
à la recherche puisqu'elle permet au chercheur de s'infiltrer (jouer
le rôle de l'"insider") dans les milieux et les paysages. Par l'entremise
des romans que j'ai étudié, j'ai l'impression d'avoir vraiment
rencontré des Franco-Américains qui m'ont parlé de
leur vécu, de leur expérience des lieux. Une tâche
qui aurait été difficile à accomplir avec seulement
des textes académiques.
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