Hommage pour ma sœur Celestine decedée le 24 septembre, 2005

Lameque, Nouveau Brunswick

par MARIE ALFREDINE CORMIER



Monsieur le cure, les amis, la parente—bonjour.

Mes freres, mes sœurs—bises.

Vous savez, quand on veut faire dormir un enfant, on lui raconte un conte. Pour qu’il n’ait pas peur de la noirceur, pour le calmer, pour qu’il sache qu’on l’aime, on lui
raconte un conte. On dit « une fois y’avait » etc, etc, etc et l’enfant s’endort.

Puisque Celestine fait son dernier sommeil aujourd’hui, pour la calmer, pour qu’elle n’ait pas peur de la noirceur et surtout pour qu’elle sache comment on l’aime, je veux
lui raconter un conte.

Une fois y’avait dans un petit village d’Acadie un jeune pecheur et sa dame. Le pecheur était grand, beau, fort, vaillant. Sa dame était petite, enjouee, petillante et douce.
Le pecheur s’appelait Arthur et sa dame Eugenie.

Arthur et Eugenie commencaient leur famille. Ils avaient trois belles petites filles qui s’appelaient Osithe, Valerie et Alcie. Et voila que 73 ans passees le 27 decembre ils
ont eu une autre belle petite fille et ils l’ont fait baptiser Celestine. Celestine pesait huit livres, elle était belle, rose, potelee. Le pecheur et sa dame en etaient tres fiers.

Apres Celestine ils ont eu Marie Mai, Neree, Angelbert, Yvonne, Edouard, Marie Dine et Alphee.

Du moment ou Celestine a commence a sourire, elle a commence a rire. Elle était un enfant enjoue, toujours de belle humeur; sa mere l’appelait la rieuse. Elle aimait jouer
des tours, elle aimait se faire jouer des tours. Partout ou était Celestine on pouvait entendre des grands eclats de rire. Quand elle était adolescente elle faisait partie d’une
equipe de balle molle parce qu’elle aimait jouer, Celestine.

Quand elle avait environ vingt ans, elle a du faire comme plusieurs de son milieu et de son temps, elle a du quitter son village d’Acadie pour aller au loin gagner son pain.
Elle s’est dirigee vers Montreal ou eventuellement elle a gagne sa vie a travailler comme operatrice de nuit a l’Hopital Sainte-Justine.

Et pendant tout ce temps-la, sa famille lui était tres chere. Quand on avait besoin d’un epaule d’appui, d’une oreille pour ecouter nos peines, on s’adressait a Celestine.
Elle savait ecouter, Celestine. Je crois que chacun de nous dans la famille a eu recours a son grand cœur.

Si on disait a Celestine : « Elle est belle ta blouse »., le lendemain la blouse était lavee, pliee, et elle disait « je te la donne ». Celestine avait le caractere fort mais le cœur
tendre.

Et tout ce temps-la, elle cultivait son beau sens de l’humour comme un art, comme une science. Elle racontait qu’une fois, quand ca faisait 28 ans qu’elle travaillait a
l’hopital, un monsieur l’avait engueulee au telephone et lui avait dit qu’elle ne savait pas ce qu’elle faisait. Elle nous disait qu’elle s’est montee sur ses grands chevaux
pour l’impressionner et lui a dit: Pardon, monsieur, je sais tres bien ce que je fais, ca fait 28 ans que je travaille ici. Et le monsieur de lui repondre : Vingt-huit ans? Oh la
la, les promotions ne sont pas drues. Et elle riait comme un enfant. Elle savait rire d’elle-meme. Et ca c’est tres sain.

Elle a travaille a l’hopital 35 ans, et sept ans passes, elle a pris sa retraite; elle allait se la couler douce. Mais du moment ou elle a pris sa retraite, elle a commence a perdre
du poids. Nous, ses freres et sœurs, nous etions inquiets, nous nous demandions pourquoi elle perdait ce poids. Et nous finissions par en deduire que c’était parce qu’elle
avait change de mode de vie; elle ne travaillait plus de nuit.

Mais voila que deux ans et demi passes, apres s’avoir decouvert une bosse au cou, les medecins lui trouvent le cancer au sein. Et en Celestine typique, elle s’est prise en
main. Sans rager, sans se lamenter, sans s’appitoyer sur son sort, elle s’est prise en main : Elle a suivi sa chimio, elle a perdu ses cheveux quelques fois, elle s’est
procure une peruque qu’elle portait avec elegance.

Et son sens de l’humour la soutenait toujours. Quelques mois passes elle racontait qu’elle était allee chez Tim Horton prendre un cafe et qu’en entrant, un beau, grand
homme lui avait ouvert la porte en lui faisait un clin d’œil et lui donnant un signe de la tete. Et elle se disait tres, tres flattee.

Elle s’est assise a siroter son cafe tout en regardant le monsieur qui se commandait un lunch. Et elle a constate que le monsieur faisait des clins d’œil et des signes de la
tete partout et a tout le monde; il avait un tic nerveux. Et encore, elle riait comme un enfant.

Mais le cancer était plus fort que son humour. Plus fort que sa chimio. Plus fort que Celestine. Et deux semaines passees elle a du entrer d’urgence a l’hopital parce
qu’elle avait de la difficulte a respirer. Et la les medecins lui ont dit que c’était bel et bien la fin. Et elle dit a sa sœur Yvonne : « Je vais aller voir qu’est-ce qui se passe de
l’autre cote, mais je ne vous dirai pas. Vous viendrez voir vous-memes ».

Et comme elle n’avait pas fait ses adieux a sa maison, a ses petits chiens, elle voulait retourner a la maison le faire.

Elle est revenue chez elle le vendredi a cinq heures. Son frere Neree et son epouse Isabelle etaient la avec elle. Elle s’est couchee vers sept heures et demi et s’est levee a
minuit pour aller fumer au balcon. Apres l’avoir entendu rentrer, Neree est monte a sa chambre pour verifier si elle avait branche son oxygene.

Il l’a trouvee la, etendue sur son lit entre ses deux petits chiens. Elle faisait son dernier sommeil.

Et c’est la fin d’un beau conte.

Shh! Celestine fait dodo.
--Marie Cormier