Par Anne Marie Staples, NH
Les noces dont
on avait parler depuis quelques mois allaient changer
beaucoup. Ma tante Jeanne quitterait l’usine de chaussures
et laisserait Mémère et Pépère, et mes tantes Blandine et
Archange avec qui elle était devenue grande amie autant que
sœur. Elle allait déménager loin d’ici pour habiter à
Newport, au Vermont chez son nouveau mari. J’aurais un
nouvel oncle. On disait qu’il était encore canadien, lui,
travailleur sur un chemin de fer, un vieux garçon cherchant
une compagne. Jeanne confessait se marier à trente-cinq
ans. Elle en avait quarante.
Jeanne et Alphonse
On réserva le
quatre juillet, une fête nationale pour les noces pour
qu’elles puissent accommoder les vacances annuelles du
nouvel oncle. Enfin, le jour arriva. M’attendant à une
journée comme nulle autre, je me levai de très bonne heure
pour mettre mes nouvelles chaussures de cuir blanc poli. Je
courus au lit bébé de Susan pour lui montrer ses jolies
bottines mais la petite se mit à sucer son pouce comme
d’habitude.
Je me sentais fort déçue quand un bruit monta du pavé.
J’allai vite à notre fenêtre dans mon pyjama et mes
chaussures de cuir blanc poli pour voir ce que je croyais
exister uniquement à Hollywood. Je vis une merveilleuse de
voiture ouverte. J’examinais la roue, les sièges, les
planchers, une valise et même des bouts de cigarette dans
le cendrier quand un monsieur dont les cheveux
ressemblaient ceux d’Elvis Presley débarqua, s’étira et
traversa la pelouse vers la maison. Outragée, je hurlai : «
Maman! Il nous arrive un homme avec de grandes chaussures
blanches de filles! » Maman apparut avec une serviette
d’eau froide sur la figure et prit Susan du lit bébé.
Toutes les trois nous étudiâmes la scène à la fenêtre.
Maman sourit et s’écria « Allô! Laurier! » à mon cousin
arrivé de Newport dans sa nouvelle Ford décapotable. Il
portait, expliqua Maman, des chaussures à la mode de Pat
Boone et n’était guère monsieur n’ayant que dix-neuf ans.
À l'instant, nous vîmes papa sortir nu-pieds, son rasoir
dans une main et un verre dans l’autre. Le cousin âgé avec
les grandes chaussures blanches lui débarrassa du verre et
lui secoua la main longtemps en répétant un tas de
salutations. Il appellait Papa « mon oncle » et Papa
l’appelait « mon vieux. » Je n’eus pas la chance de me
faire expliquer ces appellations dessus-dessous car Maman
dit que les noces venaient de commencer et nous fit
descendre tout de suite.
Dans la cuisine nous tournions dans une drôle de tornade où
il s’y trouvaient des œufs, des plaintes par rapport à la
chaleur, et pleins de moustiques. On entendait des crises
de boutons perdus et de jarretières peu commodes. Notre
maison s’étouffait de cousins, et le téléphone n’arrivait
pas à se taire. Soudain, tout le monde monta dans une
voiture quelconque pour suivre la décapotable au centre
ville vers l’Église du Saint-Rosaire.
Là on dut marcher sur une toile blanche couvrant la
longueur de la grande allée. On voyait plus de fleurs que
d’habitude, la plupart des dames en portant sur la
poitrine. Les cheveux des hommes luisaient et l’église
sentait délicieuse. Tous les gens s’essuyaient la figure
avec leur mouchoir, sauf Maman qui essuyait la bave du
suçage de pouce de Susan de ses genoux.
L’orgue produit un cantique fort énervant, puis tout le
monde se leva pour voir ma tante Jeanne encadrée dans les
grandes portes. Belle comme une princesse, enveloppée de
dentelle blanche, coiffée d’un voile féerique, elle portait
un gros bouquet de roses blanches. Ses chaussures emperlées
flottèrent sur la longue toile jusqu’à la balustrade où mon
nouvel oncle Alphonse l’attendait avec Monsieur le Curé.
Devant l’autel ils prononcèrent quelques mots et toutes les
dames se mirent à s’essuyer les yeux. Ensuite, Monsieur le
Curé nous fit une belle messe basse qui passa très vite à
cause de tous les cierges et les fleurs à étudier et à la
fin, au lieu de défiler comme d’habitude, il fallut suivre
mon nouvel oncle Alphonse qui sortait ma tante Jeanne par
le bras aux éclats étourdissants de l’orgue. La vieille
église de bois craquait. Jeanne était mariée, nous dit
Maman.
Malgré cette annonce, les noces n’étaient pas finies car
nous marchâmes en cadence tout le long de la rue Bridge et
traversâmes la rue North Main comme si nous immitions les
anciennes processions de jours saints. Nous entrâmes dans
le bâtiment où se trouvait le nouveau magasin JC Penney,
fournisseur de la plupart de nos habits de noces, mais au
lieu de prendre la porte barrée du magasin, nous montâmes
deux escaliers de bois à la troisième étage vers la salle
de réunions des Francs-maçons. Plusieurs sourcils se
levèrent en passant l’affiche, puis on chuchota que la fin
du monde arrivait bientôt. Néanmoins, tous entrèrent,
séduits par l’odeur du repas de noces et la promesse de
boissons froides.
Un orchestre jouait des mélodies étranges et quelques gens
dansaient déjà. Je vis le vieux cousin avec les grandes
chaussures blanches gigoter comme un expert avec une
demoiselle maquillée. Papa, lui, où il allait la foule
suivait. Il paraissait s’amuser follement, entouré de gens
riant à tue-tête.
Devant l’orchestre palpitant, au milieu d’une longue table
de viandes et légumes embellie de fleurs de toutes couleurs
sur une nappe blanche se trouvait un géant de gâteau. Cette
montagne de sucre tentait fort d’en tirer un tout petit
doigt de glaçage. C’était seulement à cause des statues de
tante Jeanne et oncle Alphonse au sommet de la montagne que
je ne soumis à la barbouiller. J’emplis mon assiette de
salade et m’asseyant, je la balançai sur les genoux comme
une grande fille.
Quand tous étaient assis quelque temps, le joueur de
trompette s’approcha au gâteau et souffla ses notes dessus.
Tous les gens fixèrent les yeux sur la table et sur le
gâteau qui, à mon avis, était gâté maintenant, arrosé de la
bave du musicien. Ça ne dérangea pas ma tante Jeanne et mon
oncle Alphonse qui coupèrent leur énorme gâteau et
passèrent des tranches minces sur des serviettes en papier
à tous les invités. Le glaçage fondait vite dans les mains
humides et tous cherchaient à s’essuyer. Susan dormait, la
bave coulant de son pouce sur les cuisses de Maman qui
n’essayait plus de ne rien essuyer. Les danseurs reprirent
le plancher.
Avant longtemps, la fatigue me donna de l’énergie
super-humaine et je me mis à dansotter parmi les grandes
personnes qui, selon moi, commençaient à sentir drôle. Ma
tante Jeanne jeta son beau bouquet de roses blanches
presqu’au plafond et une multitude de demoiselles
essayèrent de l’attraper. Puis on se décollait les jupons
raides des cuisses, puis on tapait les mains ensemble
éperdument.
Mon oncle Alphonse annonça que c’était l’heure de partir en
lune de miel qu’il puisse se mettre en route vers les
chutes de Niagra. Papa fit une série de clins d’œil. Il
leva le verre, tous levèrent le leur, l’orchestre joua un
dernier refrain, et les noces paraissaient achevées.
Cepandant, quand ma tante Jeanne partit, ma tante Blandine
fit un déluge de larmes. Mes grands cousins se plaignaient
d’avoir mal au cœur à cause des carottes, puis Papa, en
glissant sur des noix salées, déchira la fourche de son
pantalon neuf. Une discussion immédiate décida qu’on irait
se rafraîchir chez Mémère et Pépère. Maman proclama les
noces finies pour Susan et moi. À la tête des escaliers,
j’entendis dire qu’on pourrait encore communier le
lendemain si le jeûne ne commençait qu’à minuit.